Le gouvernement nourrit-il le projet de couler la Question Corse dans le béton ? C’est la question que pose U LEVANTE , un peu brutalement mais opportunément , et force est de constater qu’elle mérite effectivement d’être posée et débattue.
Emmanuel Macron s’était déjà illustré, lorsque il était le ministre de l’économie de François Hollande, en faisant voter une disposition qui visait à pratiquement interdire la destruction d’une construction édifiée sans permis, et donc jugée illégale par les tribunaux.
Récemment encore, devant le congrès des maires, il avait recueilli des applaudissements nourris en prenant l’engagement d’alléger les procédures d’attribution des permis de construire et des dispositions de nature à freiner les initiatives des associations de lutte contre les atteintes à l’environnement par la construction de bâtiments.
Ces dispositions étaient déjà à mon avis discutables pour la Corse, ou la frénésie d’urbanisation de certaines municipalités a dépassé les limites du bon sens , et parfois de la décence. Jamais rassasiés de libérer des espaces constructibles , sous la pression constante de leurs électeurs, certains sont prêts à faire fi de toute autre considération que celle qui consiste à favoriser le secteur du bâtiment, censé tirer la croissance et apporter la prospérité à l’ensemble de la population.
Comme le rappelle U LEVANTE, la Corse a le douteux privilège de battre en même temps le record du nombre de résidences secondaires par habitant, et le record du nombre de permis délivrés annuellement par rapport à la population. C’est dire qu’il faudrait au contraire manifester la plus grande circonspection en la matière.
En même temps, il faut le rappeler, elle bat le record national du nombre de chômeurs , et celui du taux de pauvreté de l’ensemble des régions françaises.
Et voilà que madame Gourault, envoyée spéciale du gouvernement en Corse, déclare tranquillement lors de sa conférence de presse, que la future réforme constitutionnelle doit permettre de regarder si l’aménagement de la Loi Littoral peut libérer des terrains à la construction.
N’étant pas à une contradiction près elle fait en même temps mine de s’interroger sur les moyens de luter contre la spéculation, alors que le gouvernement auquel elle appartient s’apprête à mettre en oeuvre les mesures qui vont la faire flamber !
Je ne voudrais pas remuer le couteau dans la plaie, mais faut il rappeler ce qui s’est passé en Corse dans les années soixante ?
A l’époque ce n’était pas le bâtiment mais la viticulture qui devait apporter à la Corse la prospérité et le développement : pas un hectare de maquis n’a été épargné en plaine orientale pour planter la vigne, et les caves privées ont poussé comme des champignons de Moriani à Ventiseri ou , la vendange rentrée, les camions de sucre pouvaient arriver la nuit pour enrichir les moûts.
Jeune étudiant à l’Institut National Agronomique de Paris , j’avais fait un stage de fin de première année à Ghisonaccia . Sous la photo figurant dans mon rapport d’une borne d’irrigation au milieu d’une vigne qui venait d’être plantée , au pied d’un barrage à peine mis en eau, le Professeur René Dumont, un immense agronome qui était mon maître de stage , a écrit ces mots: « quelle horreur, quelle erreur » !
Ce n’est pas par hasard que c’est dans cette zone que la révolte a commencé, qui s’est traduite par quarante ans de violence politique dont nous commençons heureusement à entrevoir aujourd’hui la fin.
On connait la suite: la faillite de cette viticulture spéculative , la ruine de milliers d’agriculteurs, des milliards de francs partis en fumée, des dizaines de caves dont les ruines constellent le paysage dévasté d’une plaine fertile ou le maquis reprend peu à peu ses droits, avec par dessus tout cela le développement de la spéculation foncière et du banditisme.
Je n’ai pas envie pour ma part que naisse une autre révolte: celle d’une population, la plus jeune, qui se sentirait peu à peu dépossédée de ce qu’elle considère comme son héritage, par l’inconscience des gouvernants, la rapacité des spéculateurs et la complaisance coupable de trop d’élus locaux l’œil fixé sur la prochaine élection municipale.
Le gouvernement est inspiré par des idées non pas libérales, car ce n’est pas un gouvernement libéral, mais ringardes et obsolètes. On se croirait revenu à l’époque ou la formule » quand le bâtiment va, tout va » faisait florès.
Les choses sont aujourd’hui beaucoup plus compliquées et la société civile , si elle est naturellement préoccupée par la question du développement , a d’autres préoccupations en tête, qui lui sont dictées par la prise en compte d’autres critères que la croissance sans limites. Le respect de l’environnement et la sauvegarde du peuple corse ne sont pas les moindres d’entre elles.
Le gouvernement ne changera pas sa politique corse, c’est pour moi très clair, car elle est inscrite dans son ADN et la vision qu’il a du développement et de la politique économique et sociale.
C’est donc aux élus de la Corse de faire clairement savoir qu’elle ne leur convient pas et qu’ils ont d’autres visées pour notre île que celles de la livrer à la spéculation foncière , au tourisme sans frein, et à la bétonisation de sonlittoral.
Il ne faudra pas se payer de mots, mais entamer sans trop tarder les actions qui s’imposent pour faire la démonstration qu’ils en ont la volonté.
Nous y reviendrons sûrement