tetes de maureJ’ai pris le temps de regarder, sur Via Stella une partie du spectacle que le Président de la République a  donné de manière très professionnelle à Cozzano, et je dois dire que je ne suis pas déçu du voyage: j’ai retrouvé là un Emmanuel Macron égal à lui même , Jupiter descendu de l’Olympe pour faire la leçon , devant un public de notables largement acquis à sa cause.

Les maires des communes rurales à avoir fait le déplacement n’ont pas manqué, comme un peu partout en France, de rappeler les difficultés dans lesquelles ils se débattent: leurs problèmes sont connus, et les réponses qui leur ont été apportées également. Je ne m’y attarderai pas, sauf pour ce qui concerne l’intervention de David Brugioni, maire de Centuri qui, nonobstant  le caractère spectaculaire de son intervention, a rompu le ronronnement ambiant en pointant les défaillances de l’Etat face aux menaces qui pèsent sur lui et sa famille.

Comment ne pas remarquer, au passage, qu’au premier rang de l’assistance se trouvait la crème de ce qu’il reste aujourd’hui du giacobbisme naguère tout puissant, certain auréolés de leurs condamnations par la justice, pour détournement de fonds publics, fraude électorale, ou dissimulation de patrimoine pour le plus titré !

Echange de sourires et de clins d’œil entendus entre la Président et cet aréopage, lorsque sont évoqués pèle mêle la réforme de la loi Notre et de l’intercommunalité,  la révision de la Loi Littoral, une abracadabrantesque future assemblée permanente des maires, resucée des défunts conseils généraux, ou encore la réforme du scrutin des elections territoriales..

Une pensée émue, au passage, pour le contingent d’élus macronistes relégués au troisième rang, punis sans doute d’avoir un peu trop flirté avec la majorité territoriale.

J’ai noté, au passage, une de ces habiletés dont Emmanuel Macron est coutumier, car il est très habile, qu’il avance régulièrement au nom au nom du pragmatisme dont il se réclame, mais qu’il assortit tout aussi régulièrement , d’une correction plus ou moins discrète destinée à servir sa politique.

Il a ainsi déclaré, et il a bien entendu raison, que la pire des injustice est celle qui consiste à cantonner un jeune dans son ghetto et qu’il faut y répondre par la formation et l’emploi. Mais pourquoi faut il qu’il ajoute , un tantinet méprisant, que ce n’est pas en jouant sur le clavier de la fiscalité qu’on réduira les injustices: pour justifier les cadeaux aux plus riches ? J’ai trouvé ça petit, vraiment petit, de la part d’un Président de la République.

Mais je dois avouer que ce qui m’a véritablement sidéré, c’est cet  rappel à la repentance jeté brutalement à la cantonade aux dirigeants nationalistes coupables, selon le Président de la République, de ne pas avoir condamné assez fermement l’assassinat de Claude Erignac, assorti d’un avertissement à peine voilé: il n’y aura pas de vrai dialogue avec les dirigeants que les corses ont choisi tant que ce repentir ne sera pas exprimé aussi clairement que l’Elysée le souhaite !

En quelque sorte, si j’ai bien compris, nous serions tous punis d’avoir choisi des dirigeants qui ne sont pas en odeur de sainteté à Paris. J’ai dû repasser plusieurs fois l’enregistrement de ce passage pour me rendre à l’évidence , je n’ai pas émis un vote conforme , et je ne suis pas en conséquence un bon républicain. Il faut dire que lorsque je vois de quels « républicains » notre Président s’est rapproché, au propre et au figuré, je ne dois pas être , au fond, un bon républicain.

Emmanuel Macron aime à laisser croire qu’il serait en quelque sorte détenteur d’une part de l’héritage de Michel Rocard. Quitte à être pour une fois un peu long qu’il me soit permis de rappeler ici ces quelques phrases de Michel parues dans un article du quotidien « le Monde » et intitulé, « Jacobins, ne tuez pas la paix« :

 » Il y a une révolte corse. On ne peut espérer la traiter sans la comprendre. Il faudrait tout de même se rappeler :

  • que lorsque Louis XV acheta les droits de suzeraineté sur la Corse à la République de Gênes, il fallut une guerre pour prendre possession de notre nouveau domaine. La France y perdit plus d’hommes que pendant la guerre d’Algérie.
  • que la Corse est restée  » gouvernement militaire  » jusque tard dans le XIXe siècle, avec tout ce que cela implique en termes de légalité républicaine.
  • que, pendant la guerre de 1914-1918, on a mobilisé en Corse, ce qu’on n’a jamais osé faire sur le continent, jusqu’aux pères de six enfants.
  • que, de ce fait, encore en 1919, il n’y avait pratiquement en Corse presque plus d’hommes valides pour reprendre les exploitations agricoles. Les tout jeunes n’ont pas eu le temps de recevoir la transmission des savoir-faire. C’est ainsi qu’ils sont devenus postiers et douaniers.
  • que c’est donc à ce moment que la Corse devient une économie assistée, ce qu’elle n’était pas auparavant. L’apparition de la  » paresse corse  » dans les blagues, les chansons et le folklore datent de là. On n’en trouve pas trace avant.
  • que, d’autre part, le droit successoral traditionnel corse était fort différent du code civil. C’est ainsi que les  » métropolitanisés « , si j’ose dire, Corses ou non-Corses, se sont injustement appropriés, bien des terres ancestrales. C’est aussi la raison principale pour laquelle beaucoup d’agriculteurs corses traditionnels n’ont pas de titres de propriété leur permettant d’obtenir du crédit.
  • que, de la même façon, le code civil ne prévoit pas, et interdit même, la propriété collective. Or tout l’élevage corse, et notamment celui des porcs – la charcuterie corse est justement célèbre -, se faisait sur terres de pacage collectives.
  • que la tuerie d’Aléria, les 21 et 22 août 1975, a été ressentie comme la fin de tout espoir d’une amélioration consécutive à des discussions avec le gouvernement de la République et a donné le signal du recours à la violence, parce que tous les Corses, je crois sans exception, ont très bien compris que jamais une riposte pareille à une occupation de ferme n’aurait pu avoir lieu dans l’Hexagone.
  • que, d’ailleurs, treize ans auparavant, la Corse avait reçu du gouvernement français un autre signal dangereux. Suite à des incidents survenus, déjà, à la fin des années 50, le gouvernement créa la Société de mise en valeur de la Corse, Somivac. Elle avait charge de racheter des terres disponibles, en déshérence ou non, de les remembrer, d’y tracer voies et chemins, d’y amener l’irrigation dans certains cas, puis de les revendre à des paysans corses. Les quatre cents premiers lots furent prêts à la vente au tout début 1962. De Paris vint l’ordre d’en réserver 90 % pour les pieds-noirs rentrant d’Algérie. 90 %, pas 15 % ou même 50 % ! Ce pourcentage est une incitation à la guerre civile. »

Faudra-t-il que l’autonomiste Gilles Siméoni réclame, au titre des dommages causés à ses compatriotes corses , que le Président de la République fasse au nom de la France acte de repentance , comme il  s’est rendu  en Algérie auprès de Bouteflika pour affirmer que la France s’était rendue coupable en Algérie d’un crime contre l’humanité ?

Faut il qu’il se rende à Paris, avec les dix autres conseillers exécutifs, en chemise et la corde au cou, comme le firent les bourgeois de Calais devant l’Anglais, pour espérer que la Corse et les corses soient entendus comme il se doit ?

Il y a une révolte Corse, on ne peut espérer la traiter sans la comprendre , disait Rocard. Il n’y a rien à comprendre, répond en définitive Macron, la Corse est une région comme les autres, mis à part « sa singularité »..

C’est toute la différence entre une homme d’Etat de gauche, pétri d’histoire du mouvement socialiste et d’humanisme ,  et un technocrate dépourvu d’empathie, fruit d’un concours de circonstances exceptionnel.

On me dira que je suis excessivement sévère, voire injuste envers le Président de la République .

J’accepte que certains de mes amis me condamnent à ce titre. mais à la vérité , qu’ils me le pardonnent, je ne crois pas que je sois sévère ou injuste: je suis seulement terriblement inquiet.