Moins de touristes, mieux répartis sur le territoire et mieux répartis dans l’année.
Voilà la formule sur laquelle je demanderais à l’assemblée de Corse de délibérer si j’en étais le président, de manière à tracer la perspective dans laquelle se place la Corse dans un domaine ou pointe aujourd’hui la controverse et qu’il est donc important de soumettre au débat avant qu’elle ne s’envenime.
Le tourisme est et restera quoiqu’il arrive une industrie importante dans notre Île, personne ne peut le contester sérieusement. Reste que les évènements commandent que l’on réfléchisse sérieusement aux indispensables inflexions qui s’imposent pour éviter de se retrouver un jour prochain devant la situation inextricable que nous avons connue dans le domaine de la gestion des déchets ou celle des transports maritimes il y a quelques années.
Il y a quelques jours, au zoo de Beauval en Loir et Cher comme au Mont Saint Michel dans la Manche on a pu observer une ruée de touristes plus proche d’une invasion de sauterelles que du flux touristique, pourtant important, que connaissent ces destinations. Les visiteurs, comme les organisateurs ou les professionnels du tourisme, se sont répandus en protestations devant ce qui n’avait plus rien du plaisir attendu par les uns comme par les autres.
Un peu partout des voix s’élèvent pour demander , pour le moins, une pause dans le développement du tourisme de masse, voire une régulation sérieuse du flux de visiteurs à certaines périodes et sur les destinations les plus sensibles.
Je dois dire que la réaction de la profession à la mesure , cosmétique, de l’Agence Corse du Tourisme décidée à supprimer la promotion des sites les plus sensibles pendant les mois de juillet et aout m’a sidéré ! Il me semble qu’ils n’ont rien compris au film et qu’ils vivent dans un déni préoccupant alors qu’un peu partout dans le monde la prise de conscience des dangers du tourisme de masse commence à émerger et suscite des réflexions autrement réalistes et constructives.
Tout cela ne se serait pas produit si nos excellences avaient entrepris d’élaborer les comptes du tourisme, afin que l’on puisse mesurer sereinement, et efficacement, ce que rapporte effectivement cette industrie, à quelles catégories de la population et à quelles micro régions elle profite vraiment, et en même temps ce qu’elle coute à la collectivité, en matière de construction et d’entretien des infrastructures qu’elle exige, comme en matière d’atteintes à l’environnement , et à la disponibilité des ressources en eau pour la population, sans compter le choc culturel qu’elle entraine et l’explosion du foncier qui lui est consubstantielle.
Au plan international, un certain nombre d’Etats établissent un CST – compte satellite du Tourisme– même si cela reste insuffisant, et l’INSEE dispose en France d’un certain nombre de données qui permettent de mesurer l’importance économique de cette industrie, sans toutefois mesurer ce qu’elle coute à la collectivité, ce qui est fondamental pour notre Ile qui gère et entretient à cet effet, pour une population de 350 000 habitants cinq ports , quatre aéroports et un important réseau routier !
Cette réaction des professionnels est d’autant plus sidérante que nous allons traverser bien d’autres épreuves nécessitant d’importantes remises en cause de nos intérêts particuliers et collectifs, ainsi que des situations les mieux assises et des rentes les plus anciennement établies.
Le changement climatique nous l’impose, dores et déjà, et nous obligera dans un très proche avenir à imaginer de douloureuses transitions , singulièrement dans le secteur agricole avec les épisodes de sècheresse qui vont s’accentuer, l’urbanisme qui devra faire avec moins d’artificialisation des sols, l’environnement avec l’intensification des feux de forêt, la santé avec les maladies que transmettront les vecteurs aujourd’hui cantonnés dans les zones subtropicales.
Alors lorsque j’observe la réaction épidermique et pour tout dire irresponsable des professionnels du tourisme je me dis qu’on est vraiment mal barrés pour partager équitablement le fardeau que le changement climatique nous impose aujourd’hui et nous imposera plus durement demain.