Dans son intervention, digne et remarquable, de dimanche soir, Manuel Valls a évoqué la fin d’un cycle. Personne n’a semblé y prêter attention et c’était pourtant, plus qu’une simple remarque, un constat réaliste et sans appel.
Le cycle auquel il faisait allusion est celui entamé par François Mitterrand lorsque, en 1971 . Il unifie les différentes chapelles socialistes au sein du Parti Socialiste et, plus tard, décide de la stratégie d’union programmatique avec le Parti Communiste , mettant fin à une longue période ou les deux familles de la gauche issue du schisme de Tours en 1920 avaient consommé leur séparation.
Il en est résulté l’accession de l’union de la gauche au pouvoir en 1981 et le début d’un processus d’alternance au pouvoir entre le Parti Socialiste et les formations issues de l’après gaullisme.
Pendant plus de 40 ans les responsables du PS ont tant bien que mal réussi à faire coexister au sein du même parti des tendances contradictoires, voire carrément opposées sur des sujets importants, refusant de trancher et abusant d’invraisemblables synthèses , édredons laborieusement tissés les nuits de congrès pour dissimuler les failles les plus béantes du dispositif.
La première qui soit apparue clairement à l’opinion, et dont l’importance a été sous estimée, est celle qui a opposé en 2005 partisans du oui et partisans du non au traité dit de la constitution européenne.
Deux phénomènes sont venus littéralement bouleverser, et en définitive détraquer la machine bien huilée qui avait fait merveille et permis au Parti Socialiste de Mitterrand de progresser régulièrement, réduire ses partenaires à leur plus simple expression, et accéder à plusieurs reprises au pouvoir en France.
- La question de l’immigration d’Afrique du Nord d’abord et de l’Islam de France,
La gauche, sous la pression conjuguée de ses extrêmes et du courant « droit de l’hommiste » qui la traverse, s’est longtemps refusée à prendre l’exacte mesure des conséquences d’une immigration mal contrôlée et d’une intégration en crise, dans un pays et un continent en plein marasme économique. L’irruption brutale de l’islamisme radical et le traumatisme que cela a provoqué dans la population on suffi à faire éclater au grand jour la fracture que le traitement de cette question entraînait entre les différentes tendances du Parti Socialiste.
La laïcité , qui semblait jusque là faire consensus, est alors brusquement apparue comme une pomme de discorde particulièrement sensible entre l’acception intransigeante incarnée par des personnalités comme Manuel Valls, Jean Glavany Elisabeth Badinter et bien d’autres encore et les accommodements avec le communautarisme de la gauche socialiste incarnée par les amis de Benoit Hamon qui ne veulent la regarder qu’à travers la question sociale.
L’affaire de la déchéance de nationalité , particulièrement mal gérée par le Président de la République, a ajouté la confusion à la division et accentué les fractures , réveillant la querelle des deux roses que l’on croyait enterrée.
- La question de la globalisation économique ensuite .
La vieille querelle entre les tenants de la politique de l’offre et la politique de la demande que les socialistes n’ont jamais voulu trancher a refait surface lorsque le président le la République et son conseiller économique principal Emmanuel Macron, ont choisi la première dès le début du quinquennat sans que les socialistes aient eu l’occasion d’en débattre sérieusement ailleurs qu’au sein du gouvernement.
Michel Rocard avait difficilement converti à l’économie de marché un parti qui avait longtemps fait de de la lutte des classes et la défiance envers l’entreprise le ciment de son unité. Cette conversion n’avait en fait jamais été actée par un congrès , comme le veut la tradition socialiste.
Il aura suffi d’une loi modifiant, à la marge, l’un des piliers du code du travail, assortie de la pression idéologique des communistes et de la CGT pour que se produise ce que je considère comme l’irréparable c’est à dire la rupture au sein des députés socialistes de la règle qui veut que les députés minoritaires acceptent la loi de la majorité du groupe. Non seulement les députés frondeurs n’ont pas respecté cette règle, mais ils sont allés jusqu’à déposer une motion de censure, de justesse avortée , contre leur gouvernement.
L’ensemble des ces événements signe , comment ne pas en convenir, la fin d’un cycle, la mort de ce que les socialistes appellent le Parti d’Epinay, autrement dit le Parti de François Mitterrand.
Il suffit pour bien le comprendre de considérer ce qui se passe depuis la désignation de Benoit Hamon par la primaire socialiste. Le candidat désigné par la majorité des suffrages exprimés, lui même dirigeant de la fronde qui a élaboré une motion de censure destinée à faire chuter le gouvernement, s’est engagé, si d’aventure il était élu, à abroger la Loi travail votée par plus de 80 % des députés du groupe socialistes tout en exigeant aujourd’hui qu’ils le soutiennent, une situation proprement ubuesque . Du jamais vu !
Parallèlement l’engouement qui semble ne pas se démentir d’une partie des sympathisants de la gauche socialiste envers un Emmanuel Macron qui déclare à l’envi qu’il n’est pas socialiste, démontre que, manifestement, la coexistence au sein d’une même formation des chapelles rassemblées par Mitterrand est devenu impossible.
La séparation de la famille socialiste en deux pôles, un pôle radical destiné à se rapprocher du Front de Gauche , et un pôle réformiste, me parait aujourd’hui consommée. Le reste n’est plus pour moi qu’une question de temps et de formes.
Cela n’empêcherait d’ailleurs en rien, compte tenu des valeurs qui leurs sont communes, que ces deux familles concurrentes passent entre elles des accords de gouvernement à tous les échelons. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit entre socialistes et communistes en 1981 alors que ces deux formations étaient beaucoup plus éloignées que celles qui se profilent aujourd’hui, y compris sur le plan des valeurs puisque le PC cautionnait à l’époque le goulag soviétique et l’agression russe en Hongrie puis en Tchécoslovaquie , pays aujourd’hui membres de l’Union Européenne !