Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt: proverbe chinois. Le gouvernement serait bien inspiré d’y réfléchir en cherchant à comprendre les raisons profondes des quelques mille deux cents rassemblements qui ont affecté la circulation hier en France.
Si j’en crois les déclarations que j’ai entendues ce matin du ministre de la transition énergétique et de quelques autres de nos excellences il n’en prend pas le chemin.
Monsieur De Rugy affirme en effet qu’il n’a pas l’intention de surseoir à l’augmentation des taxes sur le gas-oil et l’essence , prévues au premier janvier, pendant que ses collègues répètent à l’envi et avec componction qu’ils ont entendu les manifestants: ce doit être ça le fameux » en même temps » , la marque du macronisme.
Ce qui me surprend, ce n’est pas que le pouvoir poursuive la politique qu’il a décidé de mettre en oeuvre pour réduire la dépendance du pays aux énergies fossiles, il fallait s’y attendre. Ce qui me sidère c’est qu’il se soit fourvoyé dans une direction qui va le condamner sinon à reculer, il ne peut pas se le permettre, mais à multiplier les emplâtres sur les blessures qu’il a causées sans pour autant calmer la contestation et éteindre la grogne qui monte dans le pays.
Il y a là un manque d’ambition stupéfiant face à une situation qui en réclame sans doute plus que toute autre. A cet égard , les annonces du Premier Ministre sont particulièrement affligeantes , d’abord parce qu’elles auraient sans doute gagné à être fixées après les manifestations pour être en cohérence avec la supposée écoute des manifestants, et ensuite parce que , prises dans l’urgence, elles vont comme souvent se trouver d’application problématique.
Mais le problème est ailleurs: il est dans la faillite de l’aménagement du territoire , le manque de coordination entre les politiques menées au plan national et au plan local, et le manque d’ambition du gouvernement actuel pour aborder la question du rapport de la mobilité à la transition énergétique.
Est ce que nous allons continuer à construire des centres commerciaux à l’extérieur des villes, pendant qu’ailleurs, par exemple à Stockholm, on construit ces installations en sous sol au cœur des villes ? Est il encore raisonnable de demander aux citoyens de se déplacer parfois à plus de vingt kilomètres en voiture pour faire leurs courses alors qu’ils pourraient les faire à pied ou en utilisant les transports en commun en zone urbaine?
Est ce que nous allons continuer à étendre les zones pavillonnaires, les lotissements consommateurs d’espace et de sols bétonnés , au lieu de densifier l’espace urbain en « verticalisant » l’habitat ? Un bouquet de tours de douze étages conçues par des architectes imaginatifs et pourvus d’installations sportives et culturelles à l’usage de ses habitants ne vaut il pas mieux que ces lotissements sans âme ou les habitants s’ignorent, complètement désocialisés ?
Est ce que nous allons continuer à abandonner le réseau ferré secondaire sous prétexte qu’il ne serait pas rentable, au lieu de le moderniser, de le densifier, et de faire en sorte qu’il desserve un maximum de zones industrielles afin de limiter l’usage de la voiture individuelle.
Au fond, le mouvement des gilets jaunes, dont personne ne peut aujourd’hui prévoir le prolongement, ne serait il que le premier signe visible de l’effondrement de notre le modèle économique, social et sociétal ?
Macron semble enfin convaincu qu’il n’a pas été capable de rassembler le peuple français pour affronter les défis extraordinaires auquel il est confronté. mais lorsque j’entends ses ministres s’exprimer, j’ai l’impression que la réponse du pouvoir se limitera à l’expression de sa compassion pour la France qui souffre.
Le nouveau monde que l’on nous annonçait ne serait il au fond que , non pas le vieux monde, mais carrément l’Ancien Régime ou les nouveaux aristocrates autoproclamés retrouvent les accents de leurs prédécesseurs ? Je me pose sérieusement la question aujourd’hui.
Si les gens qui nous gouvernent n’étaient pas tous issus des classes sociales les plus favorisées ils n’auraient pas besoin ds gilets jaunes pour percevoir ce qui se passe en France, il leur suffirait d’écouter leurs proches et les amis de ces derniers, dans la rue, dans l’entreprise ou les bureaux des administrations : ils se rendraient compte qu’ils vivent dans une une société inquiète, qui s’interroge, qui réalise que les orientations dont on lui a expliqué pendant des années qu’elles préparaient l’avenir sont aujourd’hui à revoir de fond en comble .
On leur a vendu le moteur diesel pendant des décennies comme un progrès décisif de l’industrie automobile , et aujourd’hui on leur explique qu’il faut en finir avec ces modèles, en taxant le carburant qu’ils utilisent. On leur annonce une prime pour s’équiper en moteurs moins polluants alors qu’en même temps ils constatent que leur véhicule, montré du doigt par le pouvoirs publics, ne vaut plus rien , ce qui annule le bénéfice de la fameuse prime !
On leur vend aujourd’hui la nécessité de la transition énergétique et en même temps ils constatent que le produit des taxes qu’on leur demande de supporter, n’est pas intégralement consacré à cette mission !
Je souhaite que le gouvernement se rende compte des déchirures qu’il a provoqué dans la société. Non pas en renonçant à la taxe carbone, car c’est de cela qu’il s’agit, mais en se mettant en mesure de rassembler l’ensemble du peuple français et pas seulement les fameux premiers de cordée qui seront surtout les premiers à s’exiler dans les paradis fiscaux si la situation se détériore.