C’est peu dire que d’affirmer que les elections territoriales des 3 et 10 décembre prochains ne laissent pas à l’observateur que je suis une impression de forte mobilisation. Le nombre des abstentionnistes que nous pourrons mesurer vers 17 h dimanche nous permettra d’en mesurer l’importance et d’en estimer les conséquences éventuelles.
Le manque de passion pour un scrutin pourtant important doit sans doute beaucoup au fait qu’il s’agit d’une élection atypique, intervenue après deux ans de mandat sans que cela soit justifié par une annulation du scrutin par les tribunaux ou une dissolution de l’assemblée de Corse comme cela a pu être la cas naguère.
Mais au delà de ces explications de surface réside sans doute une explication plus sérieuse et plus préoccupante: l’impression qu’au fond les politiques qui s’ébattent sur les estrades en déroulant leur catalogue de promesses n’impriment pas vraiment la politique économique sur le terrain, et que c’est ailleurs que cela se passe.
Trois exemples illustrent assez bien ce qui est en train de se produire en réalité:
En matière de transport maritime d’abord:
Jusqu’à ce qu’elle soit mise en liquidation pour les raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas ici, la desserte maritime de la Corse était assurée pour l’essentiel par une compagnie publique, la SNCM, et une compagnie privée, la Corsica Ferries.
Aujourd’hui , ce sont deux compagnies privées qui assurent l’essentiel du trafic, formant un duopole qui semble avoir trouvé son équilibre: à la Corsica Ferries le quasi monopole du transport de passagers, et à la Corsica Maritima le quasi monopole du transport de marchandises. Cette dernière société , qui a repris l’activité de la SNCM dans des circonstances sur lesquelles le Parquet financier de Paris semble décidé à se pencher, est détenue par les principaux groupes qui contrôlent les entreprises de transport routier de marchandises et la grande distribution dans l’Île.
Le service public quant à lui est passé à la trappe, à moins que l’on considère que le système plus que bancal annoncé par la majorité territoriale dont rien ne prouve qu’il verra le jour , constitue un vrai service public ce qui est pour le moins exagéré.
Si je voulais faire du mauvais esprit je dirais que nous sommes d’une certaine façon revenus à la situation dans laquelle, au XIXème siècle la desserte de la Corse était exploitée, au propre et au figuré par les compagnies Valery et Fraissinet
En matière d’aménagement urbain ensuite:
Le meilleur exemple est sans nul doute la situation faite à la ville d’Ajaccio par l’aménagement de sa banlieue nord, en particulier Baleone sur la commune de Sarrola Carcopino.
Dans cette commune le nombre d’entreprises a doublé en 10 ans passant entre 2005 et 2015 de 250 à près de 500. Ces deux dernières années ont été mis en chantier deux gigantesques ensembles, à l’échelle de la Corse, avec les 45 000 m² de l’ATRIUM le shopping Center de monsieur Rocca, et les 9000 m² l’Hyper LECLERC. Les deux ensembles étant des franchises ce sont les promoteurs locaux qui prennent tous les risques ce qui fera peser incontestablement une grave menace sur les emplois créés à la première crise économique d’envergure.
Ces vastes ensembles ont non seulement mis dans une situation plus que difficile les entreprises du centre ville d’Ajaccio, mais elles ont structuré de manière irréversible le paysage du nord de la ville d’Ajaccio et mis à mal les conditions dans lesquelles on accède à la ville.
Il ne reste à la puissance publique qu’à intervenir financièrement pour desservir ces énormes et souvent luxueuses installations, dans une région ou un habitant sur 5 vit au dessous du seuil de pauvreté ou pointe au chômage.
En matière de transport en commun enfin.
La Corse est la Région française ou les transports en commun sont de loin les moins développés. Le « tout automobile » y règne en maître depuis des lustres et rien n’indique que cela pourrait changer sur les 15 prochaines années.
Dans l’Île des lobbys syndicaux et patronaux, les transporteurs routiers , puissants et influents, ont démontré leur capacité à bloquer les ports de Corse chaque fois qu’il pensaient être menacés par une décision politique. On vient de très loin dans ce domaine : en effet à la fin la dernière guerre mondiale , lorsque le chemin de fer desservait la ligne Bastia-Porto Vecchio et n’attendait que sa prolongation vers Bonifacio , les allemands avaient détruit quelques pont sur la voie ferrée. A la libération , sous la pression des transporteurs de passagers et de marchandises le train a été abandonné au profit de la route.
Le résultat est connu: un réseau routier coûteux, saturé l’été et sous employé l’hiver, dont l’entretien est supporté par les 300 000 habitants de l’Île, et un réseau férré résiduel, reliant Bastia à Ajaccio par la montagne, au chiffre d’affaires de 5 600 000 € couvrant à peine 30% des coûts d’exploitation…
Pendant que les autres régions s’équipent pour réduire le poids de l’automobile et son coût pour la santé, la Corse continue à miser sur le tout automobile et envisage de construire un port supplémentaire pour accueillir plus encore de Car Ferries sur ses routes plus que saturées. Au lobby des transporteurs se joint là celui du béton qui n’est pas en reste pour peser sur les décisions.
C’est ainsi qu’aujourd’hui le développement de notre Île se traduit pour l’essentiel pas la constitution de groupes de plus en plus intégrés et puissants appartenant à des familles qui ne doivent pas dépasser la centaine, multipliant les prises de contrôle sur les secteurs les plus intéressants, et pesant naturellement de tout son poids dans la décision politique.
Si l’on y ajoute l’emprise dans nos micro régions de mafias locales liées le plus souvent , outre les activités traditionnelles, à l’immobilier touristique, on peut légitimement s’inquiéter pour l’avenir.
La campagne électorale est pratiquement achevée sans que ces questions, fondamentales ne soient seulement effleurées, sauf par les nationalistes du RINOVU il faut le souligner.
Est ce à dire que les candidats soient résignés et prêts à se plier aux caprices des hommes d’affaires et, pourquoi ne pas l’évoquer, aux voyous qui souvent les accompagnent? La scène politique corse est elle réduite à une théâtre d’ombres ou ce qui est important ne se déroule pas sur la scène mais en coulisses ?
Je fais partie de ceux qui le redoutent , et très franchement, je serais le plus heureux des hommes si j’avais dans quelques années à proclamer que je me suis trompé…