LEO JTLes deux porte drapeau des collectifs anti-mafia opérant en Corse ont accepté la proposition du quotidien Corse matin de se livrer, et aborder sans se défiler  les questions qui leurs seraient posées. Ils ont eu raison, et si cela ne fera sans doute pas taire leurs  détracteurs, cela contribue à éclairer le débat sur la question de l’emprise mafieuse sur la société corse.

Je ne m’étendrai pas sur les réponses qu’ils ont apporté au journaliste sur leur situation personnelle , leur passé, leurs errements. Ils ont l’on très bien fait eux mêmes et j’ai trouvé cela courageux car il n’est jamais  facile de se livrer ainsi face à la collectivité , face à ses proches, ses amis, ses voisins.

Je m’attarderais plutôt sur le rapport des collectifs aux élus, car ils ont été injustement accusés de s’en prendre aux élus et particulièrement aux maires.

En fait c’est exactement l’inverse qui motive et anime les collectifs et je vais m’efforcer de le démontrer, d’autant que j’ai été moi même un élu de proximité, maire et conseiller général , et que je puis donc en parler en toute connaissance de cause.

Léo et Jean Toussaint ne se sont jamais trouvés dans cette situation, mais ils n’en mesurent pas moins , , comme tout un chacun, la pression que subissent les élus de proximité de la part de leurs electeurs , que l’on sait exigeants envers ceux qu’ils ont élu et dont ils attendent en retour un service, et parfois une faveur.

S’il n’est  pas toujours facile de satisfaire ses electeurs, la plupart du temps honnêtes et intègres, qui ne disposent comme arme que de leur suffrage, on imagine que répondre aux exigences d’un individu qui a choisi de vivre en marge de la société est une autre paire de manches !

Je parle d’expérience, face à cela il n’y a pas d’autre solution que de résister sans aucune hésitation à la pression lorsqu’elle s’exerce.

Il y a à cela une raison , simple, et évidente : les gens qui vivent en marge de la société ont pour principe, car ils en ont aussi, de ne pas prendre plus  de risques qu’il ne faut et de ne pas insister bêtement  quand on rencontre de la résistance.

Par contre, ils suivent  un autre principe, c’est de s’acharner sur celui ou celle qui a le malheur de leur céder à la première sollicitation, et de ne le lâcher que lorsqu’il n’a plus rien à donner.

J’ai été le premier élu corse, dans les années 1980, à prendre conscience que le gang de la Brise de mer avait dépassé le stade des braquages de banque et de l’installation de machines à sous, en blanchissant ses revenus dans les affaires commerciales et touristiques.

j’avais en conséquence décidé de secouer l’inertie de mes collègues du conseil général de haute Corse en exigeant de son président la convocation d’une session extraordinaire consacrée au grand banditisme et à son empreinte croissante sur le département.

La proclamation que j’avais adressé en séance publique du conseil général, on appelle cela un Vœu, commençait par les mots suivants:  » Cinquante personnes déterminées peuvent mettre notre Île en coupe réglée, et soumettre toute une population à leurs interets. »

lorsque en 1995 j’ai été battu aux elections municipales il y avait dans la salle de dépouillement Daniel Vittini membre de la Brise  de mer . Elle  avait exercé des pressions sur certains electeurs.

C’était la sanction, normale, à mon opposition. J’ai été battu bien sûr, mais je suis encore là, alors que Vittini lui n’a pas eu cette chance , et  a été quelques mois plus tard  assassiné par ses propres amis.

On en là, et lorsque j’y pense je suis atterré, et je me demande comment le peuple corse, ce peuple dont les Romains affirmaient qu’il n’y avait rien de pire pour un romain que d’acheter un esclave corse, car lorsqu’il avait épuisé les possibilités d’évasion, il se laissait mourir  plutôt que de se soumettre, peut il accepter de se soumettre à ceux qui ont pour unique projet de les réduire en esclavage ?

lorsque les responsables des collectifs s’émeuvent du déni dans lequel se réfugient trop d’élus , ce n’est pas pour les condamner ou les accuser de je ne sais quelle lâcheté, mais pour les amener à secouer cette inertie et à rejoindre et enrichir de leur présence et de leur expérience le combat collectif.

La mafia peut résister aux dispositions que prendront la police et la justice si les pouvoirs publics  tiennent  leurs engagements , mais elle ne pourra résister longtemps si les corses décident  d’isoler culturellement   ceux   qui,   par   leurs  méthodes   barbares,  détruisent impitoyablement les formidables potentiels de notre territoire.