Je viens de terminer la lecture d’un très intéressant ouvrage paru chez Actes Sud , au titre provocateur : Contre les Elections. L’auteur, David Van Reybrouck, universitaire et journaliste a signé là un pamphlet revigorant et ravageur.
Dans une première partie l’auteur argumente sur le fait que la démocratie représentative est aujourd’hui clairement dans l’impasse, et les peuples atteints de ce qu’il appelle une « fatigue démocratique ».
Alors que la démocratie élective avait pendant deux siècles apporté la preuve à la fois de sa légitimité et de son efficacité, elle est aujourd’hui fortement contestée sous ces deux aspects fondamentaux.
Sa légitimité ? de plus en plus contestée, de plus en plus mise en cause par une abstention qui augmente d’une élection à l’autre. De moins en moins de votants, un électorat de plus en plus volatil, et les effectifs des partis politiques qui s’effondrent.
Son efficacité ? Elle est quotidiennement mise à mal, parfois avec force : l’exécutif devient incapable de prendre des décisions violemment contestées, comme on le voit dans l’affaire de l’aéroport de Notre Dame des Landes, entraînant les hommes politiques à naviguer à la godille l’œil fixé sur les prochaines échéances électorales.
Force est de constater qu’aujourd’hui la « représentation nationale », comme on s’obstine à l’appeler, ne représente plus la Nation dans son ensemble, mais une nouvelle oligarchie qui s’est peu à peu accaparé les pouvoirs , comme si on avait substitué à l’ancienne aristocratie par le nom, une nouvelle aristocratie par le rang et les titres qui n’ose pas dire son nom.
De là à s’interroger pour chercher les moyens de faire face à cette dangereuse impasse, il n’y a qu’un pas que l’auteur franchit avec audace.
Il va d’abord rechercher dans la démocratie Athénienne les racines de la représentation des dirigeants par tirage au sort, puis , appuyé par une bibliographie dense et très documentée, il énumère les études et les expériences qui ont été consacrées à ce mode extrême de démocratie participative au cours des années par des universitaires ou des politiques.
Plus récemment il évoque avec d’éclairantes précision les expériences menées au Canada, en Colombie Britannique et dans l’Ontario, en Irlande, en Islande ou c’est la nouvelle Constitution qui a été élaborée par un groupe désigné, pour partie , par tirage au sort.
Dans notre démocratie représentative il constate que seuls les jurys populaires sont désignés par tirage au sort, et regrette que nous puissions accepter que des groupes d’intérêt puissent exercer une influence alors que nous hésitons ne serait ce qu’à donner voix au chapitre aux citoyens ordinaires qui sont, tout compte fait, les premiers concernés.
Pour échapper à la « fatigue démocratique » l’auteur trace une voie: celle d’un modèle « bireprésentatif » associant élection et tirage au sort. Il y voit la martingale capable d’associer la compétence des politiciens de métier et le liberté des citoyens qui n’ont pas à se faire élire.
Elle consiste à apparier ce que la tradition technocratique a de meilleur , la considération pour les compétences techniques de professionnels élus, et ce que a tradition démocratique directe a de meilleur , la culture horizontale de la délibération participative sans l’antiparlementarisme .
Le pari de l’auteur est que de cette manière la légitimité soit retrouvée et que l’efficacité augmente : les gouvernés se reconnaissant mieux dans le gouvernement, et les gouvernants pouvant exercer leur pouvoir avec une plus grande capacité d’action.
Reste à convaincre nos concitoyens : s’ils souhaitent sûrement retrouver le gout de l’action politique et la confiance dans la parole de leurs dirigeants, il n’est pas sûr qu’ils aient l’audace nécessaire à l’engagement dans ce saut qualitatif de la démocratie participative.