port 5La bien-pensance qui règne depuis quelques années dans nos pays consiste en particulier à rebaptiser les choses qui nous gênent et dont on ne veut plus entendre parler. Ainsi les clochards sont devenus des SDF, les sourds des mal entendants, et les aveugles des mal voyants. J’en passe, naturellement et des meilleures.

C’est ainsi, sans doute, que le projet de Port dit de la Carbonite à Bastia est devenu Porto Novo.

Pour moi, mais ce n’est bien sûr que l’avis d’un citoyen engagé, la question n’est pas faut-il un nouveau port à Bastia, mais plutôt la suivante:

Ne serait  il pas indispensable  de réfléchir au modèle économique, social , sociétal et écologique du système de transports extérieurs et intérieurs de notre Île avant de s’engager dans une voie qui, loin de le remettre en cause, le pérenniserait pour une bonne cinquantaine d’années ?

Alors que partout dans le monde on s’alarme des excès du tourisme de masse et des dégâts qu’il occasionne  à l’environnement et aux cultures locales, est ce bien raisonnable d’entreprendre la construction d’un port destiné à accueillir davantage de visiteurs ? Est ce vraiment responsable et cohérent, surtout lorsque l’on estime le peuple corse en danger de mort ?

Alors que dans notre Île chacun, y compris nos élus et mis à part les représentants de l’Etat, est en train de prendre conscience de la pression mafieuse qui règne sur  les entreprises et les institutions, comment peut on imaginer que l’importance de l’injection d’argent public envisagé ne va pas entraîner au contraire l’appétence des groupes mafieux pour ce qu’elle va générer comme profits potentiels pour ceux qui capteront les marchés publics ?

Le projet serait taillé pour que seules les entreprises locales en profitent ? La belle affaire ! Oublie-t-on que ce sont deux groupes corses du BTP  , dont je n’ai pas besoin de citer ici les noms, qui dans un passé récent captaient l’essentiel des marchés publics en Corse et arrosaient copieusement ceux qui pendant des années trafiquaient les elections et pratiquaient un clientélisme hors normes , à la droite comme à la gauche de l’échiquier politique insulaire ?

Alors que partout dans le monde entier on estime que l’on doit s’engager aussi rapidement que possible vers un modèle de développement plus sobre, ou le transport en commun doit être privilégié, ou la dépendance au pétrole doit être réduite et l’usage la voiture individuelle reconsidéré, est il raisonnable et responsable de s’engager dans des investissements qui rendront cette évolution plus difficile encore qu’elle ne l’est ? Il est vrai me direz vous que notre Île voit exploser la construction des centres commerciaux alors que partout ailleurs on s’efforce d’en réduire l’importance…

Non, très franchement, je ne suis pas d’accord pour que notre Île choisisse ainsi d’entrer dans l’avenir à reculons. Et que l’on ne vienne pas me parler de modernité ! Ou alors il faut cesser de gloser sur l’importance des bouleversements climatiques et la nécessité d’anticiper pour y faire face!

Il faut, au contraire, remettre à plat le système de transports , à tous les niveaux avant qu’il ne soit trop tard. Chacun sait ce qu’il advient lorsque l’on conduit sa voiture en regardant dans le rétroviseur ..

Sans compter l’indispensable réflexion à mener sur l’utilisation de l’argent public dans le système de transport.

Est il concevable, par exemple, qu’un groupe important dont par ailleurs je ne conteste pas le dynamisme et la réussite spectaculaire, charge , grâce à l’argent public de la continuité territoriale, à Marseille ,  les bateaux de ses actionnaires de marchandises et les transporte en Corse, les décharge sur les camions des mêmes actionnaires, pour les transporter jusqu’aux entreprises de la grande distribution appartenant à ces mêmes actionnaires ?

Ces questions, je ne suis pas seul à me les poser, et il serait bon que nos élus se les posent avant que la direction que nous prenons ne devienne irréversible et que leurs successeurs soient condamnés à les assumer sans pourvoir les remettre en cause , car disait Napoléon Bonaparte: gouverner, c’est prévoir, y compris lorsque vient l’alternance, la situation que l’on laisse à ses successeurs….