anticorL’objectif du journalisme d’investigation est de mettre en pleine lumière  ce que l’on s’efforce à tout prix de cacher en appuyant là ou ça fait mal pour susciter la prise de conscience et la réaction des citoyens.

Si l’on en juge  aux réactions des professionnels du secteur concerné lors du débat qui a suivi la projection du film  » Prime à la Fraude », Jean Charles Chatard a parfaitement atteint cet objectif, en réalisant un documentaire pertinent et documenté sur les fraudes aux subventions de l’Union Européenne dans le secteur de l’élevage en Corse.

Si on en parle aujourd’hui , c’est parce que un groupe de lanceurs d’alerte d’ANTICOR, l’association de lutte contre les atteintes à la probité, la corruption et les détournements de fonds publics, a eu le courage de lancer, sur la base de constats effectués sur le terrain,  un signalement à l’OLAF, l’organisme qui, à Bruxelles, est chargé de lutter  contre les fraudes aux subventions européennes.

Le journaliste d’investigation Jean Charles Chatard , convaincu de l’importance de la fraude, décide alors de réaliser un documentaire sur le sujet et obtient le soutien d’ANTICOR et de ses lanceurs d’alerte.

Après avoir étudié le dossier pendant plus de deux ans, et rassemblé plus de 350 pages de documents, l’association a mandaté son avocat le plus expérimenté, M° Jérôme Karsenti, pour déposer une plaine auprès du Parquet financier de Paris.

C’est le résultat de ce travail militant que les corses ont pu visionner le vendredi 29 mars dernier sur Via Stella , l’antenne insulaire de la chaîne régionale de France Télévision .

Le débat qui a suivi rassemblait, à l’invitation de Via Stella, les présidents des deux chambres d’agriculture de la Corse, le président de l’ODARC, membre du conseil  l’exécutif de la Collectivité de Corse, et le représentant du syndicat Via Campagnola affilié à la Confédération Paysanne.

Manquaient à l’appel, la préfète représentante de l’Etat en Corse , invitée mais qui s’est désistée au motif fallacieux qu’une enquête judiciaire était en cours, et ANTICOR, que Via Stella a refusé d’inviter au motif , tout aussi fallacieux, que son référent pour la Corse figurait dans le film.

Le présentateur de Via Stella en conclusion du débat a d’ailleurs cru bon de confirmer la position de la chaîne concernant  ANTICOR : chacun a pu constater, affirme-t-il , que le représentant d’ANTICOR s’est exprimé dans le film.

Le problème, comme les téléspectateurs ont pu le constater, c’est que l’association, mise en cause à plusieurs reprises comme cela était prévisible,  n’a pu, faute de représentant, se défendre comme elle aurait du être autorisée à le faire, pas plus qu’elle n’a pu apporter d’informations capitales sur un certain nombre des points évoqués pendant le débat.

L’absence de l’Etat, responsable de la politique agricole dans l’Île et de l’association qui a porté l’affaire à la connaissance de l’opinion publique ont bien confirmé que le plateau constitué par Via Stella était complètement déséquilibré.

Une première illustration en a été donnée lorsque le président de l’ODARC a désigné les dirigeants d’ANTICOR en Corse comme d’anciens socialistes , ajoutant qu’il n’avait pas de leçons à recevoir de leur part compte tenu, j’imagine, de l’affaire Cahuzac.  Je ne pense pas que Dominique Yvon, qui représente aujourd’hui l’association en Corse, et qui a en effet appartenu comme moi au PS, ait jamais eu la prétention de dispenser des leçons de morale à quiconque. Nous considérons d’ailleurs à ANTICOR, association trans-partisane  que la morale ressort de la sphère privée, et que par contre l’éthique en politique, qui est au cœur de notre action,  entre dans la sphère publique.

Pour ma part, c’est une leçon de politique publique corse que je voudrais, avec sa permission bien entendu,  dispenser ici amicalement à Lionel Mortini .

Il n’avait que 13 ans en 1982 lorsque Gaston Defferre, ministre socialiste, démantelait la SOMIVAC , société d’Etat, pour créer par la Loi l’ODARC et l’Office hydraulique, et les transférer à l’assemblée de Corse: je veux donc croire  qu’il ignorait compte tenu de son age cet important transfert de compétence qui lui a permis de se retrouver aujourd’hui l’un des personnages les plus importants du monde agricole insulaire, et de s’exprimer à ce titre sur le plateau de Via Stella.

Il avait par contre 23 ans en 1992 et militait dans la mouvance nationaliste lorsque entra en vigueur le Statut de la Corse élaboré par Pierre Joxe, un autre ministre socialiste,  qui a mis en place la nouvelle assemblée de Corse et l’a dotée, c’est la seule en France, d’un Conseil Exécutif dont Lionel Mortini est aujourd’hui un membre important: et là je ne vois pas comment je pourrais lui accorder le crédit de l’ignorer.

Il pourrait d’ailleurs le cas échéant, si cela lui convient davantage, se rapprocher de son chef de file Jean Guy Talamoni, qui chaque fois que l’occasion lui en est donnée ne tarit pas d’éloges sur les socialistes François Mitterrand et Michel Rocard, ou encore à Gilles Siméoni, Président du Conseil Exécutif, qui, lors de la dernière séance de l’assemblée de Corse a rappelé avec émotion les mots prononcés par le Président socialiste François Mitterrand , lors de sa visite à l’assemblée de Corse le 13 juin 1983 .

Plus loin , c’est le président de la Chambre d’agriculture de haute Corse, que j’ai connu plus subtil, qui imaginait je ne sais quel obscur complot contre l’agriculture insulaire ourdi par l’Etat, le Canard Enchaîné, ANTICOR et  l’OLAF : et pourquoi pas les Iluminati  !

Troupeaux fantômes, chasse à l’hectare sans avoir les moyens pas plus que la volonté de les exploiter, déclaration de parcelles dont on ne dispose pas du titre de propriété et dont les propriétaires légitimes ignorent la destination  – y compris parfois des terrains publics … tous les moyens sont bons pour drainer des subventions par des canaux frauduleux. Le tout sans que les autorités en charge de l’allocation des subventions et du contrôle de leur utilisation ne semblent s’en soucier, comme le soulignait l’OLAF dans son rapport de 2016 faisant état de la « faible réactivité de l’État et de l’opposition totale des professionnels corses à tout assainissement » .

Il n’y a aucun complot, aucune cabale, contre l’agriculture corse il n’y a qu’une réalité, concrète, détestable : L’enveloppe financière consacrée à l’élevage par l’UE est d’un montant fixe. En conséquence pour tout hectare déclaré abusivement après 2015 les fraudeurs perçoivent de l’argent qui manque aux éleveurs honnêtes qui en ont le plus grand besoin.

Ces propos désobligeants, ces assertions fantaisistes, auraient mérité une mise au point . Ils ont pu être proférés sans que personne sur le plateau ne s’en offusque, et pour cause: le représentant d’ANTICOR n’était pas présent…

Cela n’empêchera pas l’association et son avocat de revenir sur le fond de ce dossier lorsque les tribunaux entreront en action, car c’est à cela qu’est destinée la plainte  déposée par ANTICOR.

On n’en est aujourd’hui qu’au stade de l’enquête préliminaire, et il appartiendra au Procureur de la République d’Ajaccio,  lorsque la police et la gendarmerie lui communiqueront leurs conclusions  de désigner un juge d’instruction chargé de diligenter l’enquête t de renvoyer, le cas échéant, les différents protagonistes devant les tribunaux.

A moins bien entendu qu’il ne juge qu’il n’y a pas matière à poursuites pénales et que c’est à l’OLAF de prononcer les sanctions envers les seuls  fraudeurs, de leur infliger une amende et d’exiger le remboursement des sommes indûment perçues,.

Sans faire de procès d’intention à quiconque, on peut légitimement s’interroger sur ce point en observant la conférence de presse conjointe entre la représentante de l’Etat , le pouvoir exécutif, et le Procureur, le pouvoir judiciaire, alors que  la responsabilité, pénale, des certains services de l’Etat dans cette affaire est incontestablement engagée…

La vigilance s’impose. Nous aurons sûrement à en reparler.